SYLVIE LEVEY
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leveyinchina@gmail.com

JOURNALIST
FILM DIRECTOR


Born in Saint-Malo (FRANCE)
Accredited in China since 1999


Propos recueillis par Geneviève Lamoureux.

Le voyage s’est-il inscrit dans ton parcours par hasard ou par nécessité ?

Le voyage s’est imposé à moi, enfant. A la bibliothèque municipale de Saint-Malo, lorsque le hasard voulut que mes yeux se posèrent sur un roman de Pearl Buck, prix Nobel de littérature et fille de missionnaires en Chine, au début du siècle dernier : « Vent d’Est, Vent d’Ouest »… Ce fut pour moi, une entrée radicale dans « l’altérité », dans ce « désir d’un ailleurs » qui ne devait plus jamais me quitter.

En y réfléchissant davantage, ce « désir d’ailleurs » commença  – peut-être ? bien avant la conscientisation de mes dix ans, tandis que ma mère accoucha là-bas, face à la mer, au pied de l’Ile de la cité… corsaire.
Très vite, il y eut les promenades du dimanche, le long des plages de la Manche. Ces bateaux en partance pour je ne sais où... Ces étés d’enfance face à l’infini. L’appel – sans doute ?, déjà, du grand large… Un héritage naturel, légitime pour la petite fille que j’étais alors, « la Malouine » née dans cette ville portuaire – Saint-Malo, faiseuse de tant et de tant de voyageurs au long cours, d’aventuriers en tout genre, de grands navigateurs et autres découvreurs de nouveaux mondes.

Ensuite, il y eut – bien sûr !, ma rencontre fondamentale au collège de Choisy, d’avec les langues « étrangères »:  l’anglais, l’allemand et… le latin d’une autre manière.
J’adorerai d’emblée ce « changement d’état ». Un peu comme-ci, par le seul fait de changer de mots, d’intonation, je me coulais dans une autre peau. Une altérité. En villégiature automatique, dans ma tête… Cela serait encore plus radical, lorsque des années plus tard, j’apprendrai le chinois, l’écriture des idéogrammes. Un voyage époustouflant via des caractères sortis de la nuit des temps, héritage précieux d’une autre civilisation!
Il eut également une sérieuse « tentation sud-africaine », suite à la lecture de « Pleure ! Oh pays bien-aimé » d’Allen Patten. Rêves fous de pouvoir changer le monde d’un coup de baguette magique.

Mon père qui ne parle toujours aucune langue étrangère (si ce n’est la plus belle au monde: celle du cœur par delà des différences identitaires parfois abyssales), fut - pour son métier, en contact permanent avec divers pays d’Europe (Allemagne, Suisse, Italie, Espagne…). Cela allait doublement contribuer à nourrir en parallèle, mon imaginaire. Ma fascination viscérale pour le lointain.

A douze ans, je vis sur TF1 (La 1 à l’époque ?), la retransmission des funérailles de Mao Zedong, le N°1 chinois. Cela me rappela aussitôt mes lectures d’enfance. Je me fis alors cette promesse de gamine : « un jour, lorsque je serai grande, je chercherai un métier en rapport avec ce mystérieux pays d’Extrême-Orient ». Je me constituai dans la foulée, une mini revue de presse sur la Chine du feu Timonier, sans tout comprendre, avec les journaux et les magazines que recevait mon père. Un acte que j’oublierai longtemps… Bien plus tard, de retour d’une année d’études à Taïwan, je retrouverai ces coupures de presse bien rangées au fond d’une armoire de jouets. Telles des traces de vie, écrites par avance…

Entre-temps, il y aura aussi et surtout, l’Amérique – une année d’études en Californie. Mon premier départ au long cours. Ma première rupture d’amarres d’avec Saint-Malo, le cocon familial, les résidus d’enfance… L’immersion dans l’ailleurs n’allait pas tarder, tissée de rencontres éclectiques… Des juifs américains militant pour un rapprochement d’avec les musulmans de Palestine. Des anciens de la guerre du Vietnam devenus bohêmes dans le désert de Mojave. Des jeunes gens de mon âge, de toutes les couleurs de peau, remplis d’une prodigieuse énergie et d’une confiance imparable en un avenir radieux... Beaucoup d’insouciance aussi. 
Et puis, sans prévenir, au bout de cette Californie si accueillante, sur ses marges dorées, une ville frontalière dénommée Tijuana. J’avais 18 ans ; et, ce jour-là, je portais une petite robe blanche en dentelle confectionnée par ma vieille tante Marie, et de beaux souliers vernis achetés à Paris. Brutalement, des enfants mendiants au ventre défoncé, « surgonflé » par la malnutrition, s’agglutinèrent autour de moi. Pour la première fois de ma vie, j’étais en train de « toucher » une terre « poubelle » - celle des refoulés du grand « rêve américain » d’alors. Déjà !
Une rencontre d’une violence insoupçonnable avant!
En passant une fine frontière arbitraire instaurée par des hommes et des états, je venais de plonger dans une altérité bien radicale que celle-ci, atroce ! Contrairement à ce que j’avais entr’aperçu sur le petit écran aseptisé des télévisions occidentales, la misère avait donc une odeur ! Une puanteur sous le soleil de midi, à quelques encablures à peine, des belles villas trônant sur les hauteurs de San Diego, à la Jolla, le quartier chic… De cette même « odeur puanteur » que je retrouverai dans mes « ailleurs », mes voyages sur les autres bouts de monde en voie de développement. Dorénavant, « partir au loin », « en voyage » n’aurait plus forcément pour moi, la seule couleur du bonheur…

Ce soir-là, près avoir repassé la frontière dans l’autre sens, je pris trois douches. Symboliquement sûrement. Car je me sentais sale. Mal à l’aise d’être née du bon côté des choses. Et pas eux ! Une décision s’imposa: je deviendrai journaliste pour raconter, dénoncer les injustices de cet « autre monde ».
Dans les années 80, deux pays étaient « en émergence » : l’Inde & la Chine. A cause de mes lectures d’enfance, j’optai pour l’Empire du milieu. Il serait mon laboratoire. Et le chinois, ma nouvelle langue que j’irais apprendre aux Langues Orientales à Paris, puis à Taïwan. Une énième peau… une autre forme d’altérité radicale, au début. Aujourd’hui, cette langue - le Mandarin, est devenue l’une de « mes natures ». Je rêve souvent en chinois… parfois en anglais ou en français.

T’est-il devenu indispensable – ce voyage, cet ailleurs?

Oui !, il m’est même devenu essentiel dans le sens étymologique du terme. Il est l’essence de mon existence. Ma raison d’être. Mon nouvel « état ». Je m’y suis d’ailleurs sciemment, finalement, installée « en plein dedans » - si je puis dire. Il y a plus de 10 ans, j’ai en effet déménagé en République Populaire de Chine. Et depuis Shanghai où j’ai posé mon ancre malouine, j’ai pu sillonner 26 provinces de toute sorte de manière, avec à chaque fois, la même obsession : aller à la rencontre de l’autre… Des autres. Voire : des failles de la condition humaine. Car c’est souvent dans les failles, dans les creux, sur les marges que l’on rencontre le sublime. Je veux parler du sublime de l’humain – de sa capacité à résister à presque tout. A transcender le quotidien.
Mon travail – surtout dans mes derniers films documentaires, traite essentiellement de sujets de société considérés comme sensibles ici : éradication des vieux quartiers & déplacement de population, politique de l’enfant unique, transsexualité, condamnation à mort avec deux ans de sursis ou à la prison à perpétuité, etc..
Telle une funambule, j’avance à tâtons sur mon fil fragile de la condition humaine… Ma raison d’être – vous ai-je dit.

Qu’est-ce qui t’attire le plus dans cet ailleurs ?
La connaissance de l’autre… L’expérimentation dans ma chair et ma conscience, de cette « altérité », de la relativité des choses et des certitudes, des subjectivités plurielles – voire, aux antipodes de la mienne parfois. Mais si nourricières in fine. Un voyage – bien sûr, vers l’humilité.
Et puis, la fabuleuse découverte – via le destin d’hommes ou de femmes ordinaires ou plus extraordinaires, du « sublime », de moments de grâce sans pareil, même au fond – c’est arrivé !, d’une geôle chinoise.
Mes voyages sont finalement plus « ethnologiques » qu’autre chose. Oui !, j’aime aller ainsi creuser au fond de l’humain. Peut-être, aussi, ma manière détournée de savoir comment ils font – eux, avec la vie. Comment ils « s’en débrouillent »… Comment ils y arrivent – eux, à y croire encore…, quoiqu’il en soit de leur réalité souvent bien prosaïque ou noire.

Le voyage est-il pour toi une fuite ou une manière de se trouver ?
Tout l’inverse d’une fuite ! Lisez plutôt la suite - ma définition du voyage…

Quelle serait ta définition du voyage ?
Je dirais : « le plus court des chemins qui puissent mener à soi-même».
A défaut ? Une fabuleuse occasion « d’entrer en altérité ». Dans ce qui est « autre », différent de soi… et pourtant, si similaire parfois.

Quel est ton ailleurs ?
L’autre. L’altérité – je me répète. Voilà pourquoi aussi, ai-je tous ces amis de toutes les couleurs, de tous les âges, de tous les socioculturels… Du miel. 

Où situes-tu ta vraie vie ?
Géographiquement, en Asie et en Chine en particulier, pour le moment. Mais l’Amérique m’a toujours fasciné. Et je lui dois énormément ! Depuis les plages de Saint-Malo, en regardant l’horizon à 18 ans, j’ai décidé de commencer par elle. Sans elle – peut-être ?, sûrement !, n’aurais-je jamais eu le courage d’aller au fond des choses, du choc des civilisations, de cette altérité radicale qui continue à m’attirer inexorablement.
Cette victoire historique d’Obama (son magnifique discours de dimension « universelle ») que j’ai vécue en direct, depuis Shanghai, entourées d’amis américains et d’une foule de plus de 600 sympathisants, m’a « secoué ». Une émotion énorme !, jamais éprouvée en ce qui me concerne pour un événement collectif, extérieur en apparence à ma propre existence.
Un jour – peut-être…
Mais l’Amérique d’Obama n’est pas à l’ordre du jour dans l’immédiat. Car je sors d’un long, très long voyage: j’ai passé des années (plus de 5 ans par intermittence) avec une famille de Chinois ordinaires, dans un quartier populaire de la vieille cité shanghaienne. Il en est ressorti un film : Shanghai en attendant le paradis (diffusé au cours de l’été 2008 sur France 3).
Le plus beau – le plus bouleversant, de mes « ailleurs ». Or, je sens bien que cette aventure n’est pas tout à fait finie. Le film a ses propres limites – ne serait-ce qu’en termes de durée. Il m’a fallu réduire 10 ans d’amitié & une bonne demi-décennie de filmage, en un documentaire de 92 minutes.  Je veux donc m’y replonger via un livre… pour raconter ce que ça fait que de vivre ce voyage là, cette entrée en altérité radicale au début. On ne ressort pas indemne d’une aventure humaine pareille. Après cette immense leçon de Chine dispensée via un petit trou de serrure – les 18m2 de la bicoque des Wang, j’ai changé – forcément !
Vous voyez bien qu’au fond, les voyages des plus extrêmes finissent toujours par vous ramener à vous-même. Attention !, à des « bouts » de vous-même totalement insoupçonnables avant. A vivre absolument !

Sylvie Levey

A Shanghai, novembre 2008.


leveyinchina@gmail.com